Carnet de route

Face Nord classique Vignemale

Sortie :  Vignemale du 07/09/2018

Le 08/10/2018 par PEREZ Sébastien

Sortie prévue il y a un an, transformée en plan B par les conditions météos, nous avons finalement pu revenir dans la vallée de Gaube, pour terminer le travail entamé par Jo une première fois, il y a quelques années déjà avec Domi et Jéjé.

Sortie mémorable à l'époque car la voie se prête assez mal à une cordée de 3, de part sa longueur, environ 850m de dénivelé de difficultés auquel il faut ajouter une approche de plus en plus délicate par le moribond glacier des Oulettes. Sortis à 20h sur l'arête de Gaube, ils avaient subi un bivouac de fortune dans le froid mordant et avec une soif et faim tenace avant le lendemain de désescalader l'arête de Gaube bien malcommode en descente.

Pas impressionné par cette potentielle perspective, j'étais sur-motivé par cette face qui attire l'œil et qui n'a pas d'égal dans la chaîne. Christian n'a pas pu être de la partie, ni les Tullistes, nous partons donc à 2, Jo et moi et pour cette course, une seule cordée c'est l'idéal, il ne faut pas le cacher.

Partis le vendredi matin, nous remontons la vallée de Gaube par une température estivale, Jo imprime dès le départ un rythme d'enfer malgré des sacs lourds et nos efforts pour se limiter au strict minimum. Bon je suis et pour ne pas le vexer, je ne pipe pas mot malgré ma forte sudation. Peu avant le lac éponyme, mon camarade se rend compte que la cadence est peut-être un peu trop forte, on en rigole tous les deux, la foulée se raccourcit juste un chouia histoire de dire.

Il ne faut pas longtemps après pour que mes plantes de pied dans les chaussures de marche d'approche se rappelle à mon bon souvenir qu'elles travaillent pour moi. Je pars toujours en "grosses", super confort qu'elles sont et c'est la première fois que je pars en montagne avec cette paire de "basses". Bien entendu c'est une question de poids pour faire la voie mais bon en attendant c'est pas vraiment confort, on sent bien les cailloux!

Nous arrivons au refuge moins vite qu'espéré, on a ralenti avec la chaleur et mes douleurs aux pieds, sachant que demain, ce sont les outils les plus importants!

La soirée se passe sans encombres, nous fixons le réveil à 4h50 pour un départ à 5h30... sauf qu'une cordée d'espagnol se lève à 4h pour faire la même voie. Réveillés, nous nous levons à 4h30 pour les suivre à 1/2h.

Nous n'avons qu'une très vague idée de comment faire l'approche mais nous savons que nous voulons la faire en y voyant et nous estimons qu'il faut attendre 7h pour cela. Les espagnols n'en ont cure et foncent sans y voir, nous voyons le faisceau de leurs frontales hésiter souvent.

Nous faisons une pause de 45mn au pied du raide névé précédent le glacier, duquel des chutes de séracs tombent régulièrement, ce qui a forcément le don de nous inquiéter fortement. Y voir nous semble doublement être un impératif.

A 6h45, nous y allons, après une raide pente de neige en crampons, j'en ai un qui saute: pas illogique avec des semelles souples mais toujours un facteur de stress dont on se passerait bien. Surtout que la suite est tout en glace, avec un glacier bien tourmenté. Arrivés à un passage technique et farci de trous plus insondables les uns que les autres, nous nous encordons et c'est parti pour un cheminement en glace où notre expérience en cascade de glace sert, d'autant que nous n'avons qu'un seul piolet chacun.

Des crevasses trop larges barrent le passage direct et nous impose de passer sur des vires rocheuses en dalles inclinées, requérant une technique bien déplaisante en crampons. Le passage est heureusement assez court et nous prenons pied sur la partie supérieur du glacier plus débonnaire mais rayée de profondes et larges crevasses. Il faut en franchir obligatoirement en prenant appui d'une jambe sur l'autre bord et en allant chercher un ancrage de piolet avant de transférer le poids sur l'autre bord... une question de technique et de confiance dans l'appui, là encore notre expérience joue.

La suite est plus simple, je relaisse Jo passer devant puisqu'il connaît l'attaque de la voie.

Celle ci est généralement assez complexe avec la transition entre glacier et rocher à négocier, le tout dans une pente raide sur laquelle la chute est interdite. Il y faut retirer crampons et chaussures, ranger le tout avec le piolet, mettre les chaussons, ranger convenablement le matos d'alpi sur le baudrier, délover les cordes et s'encorder. Ca prend son temps et nous démarrons bien plus tard que prévu la voie: à 8h25. Revenir pour la soupe du refuge va être tendu!

Jo a un niveau tout autre que moi en rocher, il entame l'ascension, mais je compte bien faire du réversible sur les parties plus faciles, je ferai en fonction des sensations. Justement elles sont mitigées sur la première longueur bien verticale, je cherche peu les prises mais le poids du sac m'handicape avec une partie du matos de Jo afin qu'il grimpe en tête au mieux.

La seconde longueur du même acabit passe mieux et la suite, moins inclinée nous permet de progresser en corde tendue. Je me rends compte même si je le savais que LA difficulté de la voie est sa lecture car il est vraiment facile de se paumer, la face étant très large et de se retrouver dans du terrain d'un niveau de difficulté tout autre et pas forcément protégeable.

Nous essayons de perdre le moins de temps possible dans les manips et lorsque nous faisons les relais. C'est assez efficace je trouve et nous grimpons assez vite aussi mais le temps file. Et encore plus passé un moment car mes pieds chauffent terriblement dans les chaussons malgré qu'ils soient larges et typés "confort". Je dois à plusieurs reprises les enlever au relai et même y mettre de la nok pour soulager.

Nous arrivons à l'arête intermédiaire, ce qui signifie qu'une première étape est faite. L'ambiance sur cette arête est fabuleuse et la grimpe esthétique avec un rocher franc et adhérent.

Les choses se corsent un peu plus haut où Jo ne prend pas forcément le passage le plus aisé, me forçant à une traversée délicate sur de rares prises. Un peu impressionné, je me concentre et me voilà à la hauteur de Jo. On fait un relai plus commode que celui de Jo et il repart dans une portion difficile, protégée par 3 pitons en 3m... on en a jamais vu autant. Le passage est ardu en effet et même si j'ai vu Jo passer, mes premiers essais sont infructueux, je veux passer en libre, Jo voyant l'heure tourner me dit de tirer au clou.

Je m'y résous pour ne pas plus nous pénaliser, c'est toujours un regret. La suite est encore fine mais intéressante et nous en terminons avec l'arête intermédiaire. C'est le secteur des Schistes Rouges, à la mauvaise réputation et franchement c'est assez justifié.

Cela oscille entre rocher péteux où il n'est pas possible de mettre des points et adhérence très précaire sur un rocher hyper glissant. Les parties péteuses, j'en ai l'habitude et même avec du gaz en traversée, je suis à l'aise. Nettement moins sur ce schiste glissant, aux rares prises fuyantes, mon rythme ralentit, Jo me prend super sec, rendant la grimpe désagréable mais le soleil est maintenant nettement à l'Ouest (et comme on ne veut pas l'être, désolé on m'a obligé à la faire).

Nous arrivons à la traversée pour rejoindre l'arête de Gaube, je propose à Jo de passer devant, il préfère attendre l'arête proprement dite, dommage cette traversée sur une petite vire étroite pleine de cailloux branlant me tentait bien, étant bien à l'aise plein gaz.

Arrivés sur l'arête, nous savons que le plus dur est derrière nous. Malgré tout, je trouve la longueur suivante assez déplaisante, j'y pars en tête mais bute sur un passage sans avoir trouvé de piton ni pu poser quoi que ce soit. Je finis par faire relai sur 2 becquets et Jo fait une petite longueur ensuite. S'en suit une traversée où je repars en tête, cette fois avec la ferme intention de passer. La traversée est nettement plus chaude et je ne fais pas le malin avec un pas où l'erreur n'est pas permise. Je trouve un piton 2m plus loin: pourquoi pas avant le pas ? Probablement que le rocher ne le permettait pas.

Je fais relai car il y a du tirage si je continuais. Je repars dans du III+ et je fais une bonne vingtaine de mètres sans pouvoir protéger. Pas facile d'oublier les conséquences en cas de chute mais c'est la bonne attitude pour passer. Je pose une sangle sur un bloc sans certitude qu'il tienne et j'arrive 2m plus haut à mettre un friend même si c'est celui que j'ai mis au relai précédent qui aurait mieux convenu. Je fais relai sur un becquet pourvu d'une cordelette que je renforce et je fais venir Jo.

Je voulais continuer mais pour gagner du temps, Jo repart en réversible puis je pars en corde tendue et nous arrivons au sommet, quasiment en courant si nos pieds n'étaient pas du métal chauffé à blanc.

Difficile de réaliser complètement au sommet, même s'il a une place particulière. Nous nous congratulons sous le regard d'un couple, bienheureux qui va bivouaquer sur la plus haute cime des Pyrénées Françaises.

Nous changeons de pneus, buvons intensément et quelques graines: il est 17h45, nous n'avons quasiment rien mangé mais l'habitude nous fait dire qu'on a encore de la marge. La descente va être encore longue, nous téléphonons au refuge pour prévenir de notre retard pour le souper avec le peu de réseau qu'il est possible d'avoir.

Nous cherchons la descente car c'est bien raide et ça serait bête de s'en mettre une maintenant. Nous ne connaissons en effet que la descente enneigée et pas en cette saison! Un peu de lecture terrain, un passage délicat, certainement pas le plus simple en désescalade et nous voici sur le glacier. On s'encorde même s'il semble débonnaire et nous descendons à bonne allure, même si Jo commence à être attaqué physiquement et au dos. A cela, nous partageons également un bon mal de pied tenace.

A la fin du glacier, il faut retirer les crampons puis louvoyer dans les dalles pour éviter les parties raides. Nous trouvons les cairns ce qui simplifie la progression. Parvenu sous la traversée du petit Vignemale, j'attends Jo et je re-nok les pieds. Jo prends un petit éclat moral quand il voit la remontée qui nous attend. C'est plus facile pour moi qui a bien en tête celle-ci, l'ayant faite en mode brassage dans une neige pourrie au mois d'Avril.

J'encourage mon partenaire, trouvant toujours une bonne blague ou une histoire pour égayer notre retour un chouia galère. A la Hourquette d'Ossoue, nous en terminons avec le D+ et avec nos 6L d'eau du jour. La descente est bien longuette mais la météo est parfaite, c'est déjà ça, nous assistons à un superbe coucher de soleil. Nous continuons sans frontale jusqu'à 21h mais Jo qui ouvre la descente commence à ne plus y voir suffisamment. Encore 15mn sur un chemin loin d'être "à poussettes" et nous débarquons au refuge.

Le premier petit bonheur est d'enlever chaussures/chaussettes puis de se rafraîchir le gosier. On laisse les sacs à plus tard et nous partons manger pour ne pas faire plus attendre les gardiens. On s'attable et bien vite, la fatigue arrive avec l'arrêt de la tension physique et mentale... nous sommes malgré tout encore relativement frais et nous dégustons avec application le menu du soir.

Il est 22h passés et la décision est prise de ne pas enchainer le lendemain avec l'éperon Nord du petit Vignemale, Jo cassé d'un peu partout et ma pomme avec mes pieds en feu. Nous redescendrons tranquillement après une nuit plus longue qu'à l'accoutumée, le contrat est déjà largement rempli avec cette superbe course.

Un grand merci à Jo pour cette sortie, pour tous les passages en tête où la technique pure de grimpe n'est rien sans la maîtrise du terrain d'aventure.

Une sortie magique, rêvée... il va falloir maintenant du temps pour bien en réaliser l'ampleur, après être resté hyper concentré sur toute la course.

Sébastien







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